Un monde commun

Au début, il n’y avait rien. Il y eut tout l’univers, il y eut la terre et puis il y eut les hommes et les femmes dispersés sur tous les continents.

C’est un enfant qui, de son doigt, fait tourner sa mappemonde. Ses parents lui ont montré le petit territoire de sa naissance et ce petit homme s’est étonné de ce pays minuscule perdu sur cette belle planète bleue, si petite, si commune à l’échelle de l’univers. L’enfant s’initie à la géographie et réalise en pensée son premier tour du monde. Il met en musique les noms des continents, des pays, les resituent sur une carte où ils ont été effacés. Il navigue sur les mers, les océans, les fleuves, les rivières, il s’accroche aux parois des montagnes. Enfin il découvre la géographie humaine, la diversité des peuples et des langues, des couleurs et des cultures.

L’enfant d’une chiquenaude fait tourner la terre sur son axe et rejoint ses parents pour le repas.

Il est venu au monde, il est inscrit dans une famille, une communauté. Il apprend les règles de la vie sociale : ce qui est commun est à soi et à l’autre, on crée ainsi un ensemble où partager est la condition du bonheur. Cela implique un accord sur la répartition des espaces de la maisonnée, des biens qui la nourrissent et des rôles joués par chacun sur la scène quotidienne. Cette petite économie familiale comporte une pédagogie implicite : ce qui se vit en circuit court peut être étendu à l’humanité.

Mais cette distribution concertée et respectueuse des biens entre soi et autrui est loin d’être effective à l’échelle mondiale. Les appétits des uns sont d’une férocité illimitée, dégradante pour le bien commun à tel point que la terre elle-même souffre. Déboisement, excavation et forage des sols à la recherche de métaux utiles à nos batteries diverses, pollution chimique des rivières, océans truffés de déchets plastiques sont autant de torts faits non seulement à l’environnement mais aussi à l’intégrité, à la santé des enfants du monde.

En février se profile le Carême, cette suspension du temps de la démesure de nos envies insatiables, enjeu de notre liberté d’esprit, ferment de notre conscience.

Il nous est demandé de communier avec le monde en renonçant à consommer à outrance. Le Carême c’est la fête de la sobriété, le retour à la simplicité, la relecture de notre existence éphémère ballotée de crise en crise. Rechercher le durable : l’entente qui dépasse les discordes, l’écoute et la parole qui dissipent les malentendus, l’action qui crée du lien, le silence qui prie en nous et assourdit les bruits de la distraction.

La mappemonde s’est arrêtée de tourner. À la table familiale, l’enfant va bientôt partager le pain, fruit de travail des hommes et donner sa vie à qui a besoin de lui, gratuitement, par amitié, par amour parce que c’est le seul vrai désir commun de ce monde.

Heureux Carême qui nous rappelle que nous sommes les poussières d’une étoile, celle qui guida les mages à travers le monde vers une crèche on ne peut plus commune. C’est pourtant de là que nous est venue l’idée de ne faire qu’un avec nos frères et sœurs aujourd’hui si facilement géolocalisés.

Isabelle Delvaux